Coups de coeur Livres

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Pierre Deram

 

Djibouti est le premier roman de Pierre Deram, un jeune auteur français. C'est une plongée saisissante dans la ville de Djibouti - véritable personnage du roman, romanesque et fantasmé -, ville nichée quelque part entre la folle aridité du désert et la mythique Mer Rouge. Nous y rencontrons Markus, un militaire qui vit sur place sa dernière nuit avant de rejoindre la France après une mission. Le décor est installé : l'immense voûte étoilée aussi magnifique qu'effrayante, où l'infiniment beau rejoint l'infiniment grand, le néant, qui semble enfermer, dans ce huis clos naturel, toute une palette de personnages. Tout au long de cette nuit, Markus va en effet croiser hommes et femmes, qui passent - et s'effacent à jamais dans la nuit djiboutienne -, qui fréquentent les hauts lieux des bas-fonds de la ville.

 

C'est un roman où la poésie côtoie la misière humaine. L'écriture, souvent très crue, dépeint un monde où l'ivresse - de l'alcool et du sexe - permet d'oublier, un instant seulement, la morne solitude des êtres et des corps. C'est bien l'âme humaine qui est la matière première de ce roman à la fois beau et sombre.

 

Un roman brillant de poésie et de mélancolie qui n'est pas sans rappeler les plus beaux textes de Jean Genet ou Romain Gary. Un auteur à suivre, assurément !

ROMAN

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L'Ange de l'oubli

Maja Haderlap

 

D’inspiration autobiographique, ce roman rend un remarquable hommage à  l’histoire d’un peuple, la minorité slovène en Autriche, qui fut persécutée par le régime nazi durant la seconde guerre mondiale.  Maja Haderlap y décrit le quotidien de son enfance et de son adolescence au cœur de la Carinthie, région frontalière entre l’Autriche et la Slovénie, au sein d’un univers familial particulièrement étouffant, où les stigmates de la guerre étaient encore fortement présents. La jeune fille va essayer de se construire avec tout ce passé et cet héritage familial empreint de souffrance et de douleur. A mesure qu’elle grandit, elle prend conscience de son appartenance à une minorité et découvre ce qu’ont vécu les membres de sa famille durant la guerre : la déportation de sa grand-mère au camp de concentration de Ravensbrück, l’engagement de son grand-père et de son père, encore enfant, dans le réseau de résistance contre le nazisme. En même temps, elle aimerait se protéger et fuir cette histoire. Cette ambivalence, entre besoin de savoir et tentative d’oubli, la poursuivra son existence entière.

L’Ange de l’oubli est un livre important qui permet de transmettre la mémoire de cette histoire, encore largement méconnue aujourd’hui. L’écriture sensible de Maja Haderlap  nous fait également découvrir la beauté des paysages magnifiques et enchanteurs de la Carinthie et dresse des portraits très émouvants de son père –irréductiblement traumatisé par la guerre -  et de sa grand-mère, dernier témoin des coutumes ancestrales slovènes.

 

ROMAN

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La vie quand elle était à nous

Marian Izaguirre

Madrid, années 1950. Matias et Lola tiennent une petite librairie. Passionnés de culture et de littérature, tous deux se sentent à l’étroit dans cette Espagne d’après-guerre marquée par les interdictions et la censure.  En plus de la perte d’êtres chers, la guerre civile a brisé et anéanti leurs projets de jeunesse. Appauvris après la disparition de la maison d’édition qu’ils avaient créée, ils ont perdu le sentiment d’être maîtres de leur vie.

Un jour, une vieille dame d’origine anglaise, se présente à leur librairie et fait découvrir à Lola un livre « La Fille aux cheveux de lin ». Les deux femmes se mettent à lire ensemble l’histoire de Rose, fille illégitime du duc d’Ashford, née au début du siècle. Petit à petit, une complicité et une amitié se tissent entre elles. Elles s’échangent leurs impressions de lecture et se confient l’une à l’autre : tandis qu’Alice dévoile son histoire et son passé, Lola décrit les difficultés de la vie quotidienne. Cette lecture et cette rencontre redonnent de l’entrain et un nouvel élan à Lola…

L’écriture fluide de cette écrivaine espagnole nous accroche dès les premières pages ! Pour le plus grand plaisir du lecteur, l’histoire de Rose lue par Alice et Lola est intégralement retranscrite dans le roman. Ainsi on lit ici deux histoires, où la deuxième se fait le miroir de la première et prend tout son sens à la fin. Deux histoires qui retracent les grands bouleversements de l’histoire de l’Europe de la première moitié du 20ème siècle et qui décrivent bien la vie difficile des madrilènes durant la période franquiste mais qui montrent aussi le pouvoir des livres et de la littérature qui peuvent devenir un refuge dans les situations difficiles ou les époques troublées.

 

brodecksiteLe Rapport de Brodeck

BD de Manu Larcenet, d'après le roman de Philippe Claudel

 Non loin de la frontière allemande, dans un hameau isolé et reculé du reste du monde, encore peuplé par les fantômes des camps de concentration, Brodeck, un homme taciturne rédige des rapports sur la faune, la forêt et les chemins pour l'administration. Dans cet espace marqué par les stigmates de la guerre et une méfiance viscérale, l'arrivée d'un étranger est forcément un signe de mauvais augure ; baptisé par le village, l'Anderer, "l'Autre", un homme arrivé au village quelques semaines auparavant en a d'ailleurs payé le prix de sa vie. Brodeck - arrivé sur les lieux du lunchage après les faits - est alors chargé, par les hommes du village, de rédiger un rapport afin de justifier et d'expliquer leurs actes.

Cette BD est bien plus que ça ! C'est un objet d'art ! Dans un superbe format à l'italienne, le récit est un véritable choc graphique et narratif. Le texte original du romancier Philippe Claudel est parfaitement traduit ainsi que l'univers visuel - en noir et blanc - qui souligne la violence contenue et sourde jusqu'à l'explosion, la complexité des destins, des sentiments, la haine de l'autre, les visages - si expressifs - travaillés par le temps et la guerre, les secrets indicibles, l'hostilité et la menace latente. Le thème de la déportation, dévoilé par d'infimes touches dans ce premier tome, est ammené à se déployer dans le second, faisant de ce récit une véritable parabole du destin des déportés - et leur impossible retour à la vie. La question de l'origine de la violence porte le texte et les dessins de Larcenet où tout - des personnages à la nature, froids, sombres et torturés - participe de l'auscultation minutieuse des tréfonds de l'âme humaine.

Un chef d'oeuvre !

ROMAN

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Americanah

Chimamanda Ngozi Adichie

Ifemelu est une jeune femme nigériane. Comme beaucoup d’autres jeunes nigérians issus de la classe moyenne, elle va quitter le Nigeria pour étudier puis vivre aux Etats-Unis. Mais après un long séjour d’une dizaine d’années, Ifemelu ressent le besoin de rentrer, avec l’espoir peut-être de retrouver son grand amour de jeunesse, Obinze.

Avec cette histoire directement inspirée de sa propre vie, Chimamanda Ngozi Adichie réussit une brillante et passionnante analyse de la société nigériane ainsi que de la société américaine, en faisant exploser tous les clichés existants sur l’Afrique et le statut d’immigrant. Les deux trajectoires d’Ifemelu et d’Obinze, aux Etats-Unis pour la première et en Europe pour le second, illustrent le véritable parcours du combattant que vivent ces jeunes émigrés confrontés au racisme et la discrimination. C’est un roman riche, foisonnant, développé et détaillé qui aborde ces thèmes avec subtilité, précision et intelligence. Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que tout cela nous est décrit à travers le regard et le ressenti d’une africaine non américaine. En découvrant le parcours d’Ifemelu en Amérique, on voit comment ce pays  est encore profondément marqué par le racisme et la discrimination et on apprend beaucoup sur la réalité des différentes communautés noires qui y vivent : les différences entre les Américains de couleur noire, nés en Amérique, dont les ancêtres étaient les esclaves, et les Africains émigrés en Amérique, dont les situations sont plus ou moins précaires. Ifemelu va se retrouver confrontée à la question : comment rester soi-même dans un autre pays que le sien ? Et surtout quand on est noir et qu’il s’agit de l’Amérique : comment rester soi-même quand les autres vous perçoivent et vous définissent avant tout en tant que noir ? Chimamanda Ngozi Adichie parle donc aussi de l’identité qui change pour cette jeunesse africaine qui aujourd’hui est mobile, se déplace, dans un contexte de mondialisation où nous sommes tous connectés les uns aux autres.  

On prend un énorme plaisir à entrer dans la peau, l’esprit et le ressenti de cette jeune femme africaine noire dont le caractère entier, franc et enjoué rend l’histoire entraînante et drôle ! Mais c’est aussi un livre qui nous fait réfléchir ainsi qu’une merveilleuse histoire d’amour entre Ifemelu et Obinze !

Bref, ce roman est un véritable coup de cœur, hautement recommandé comme lecture pour cet été !

novecentoNovecento : pianiste

Alessandro Baricco

Tim Tooney est trompettiste. Dans les années 20, en plein essor de la musique jazz, il se fait engager sur le Virginian, un paquebot qui traverse l’Atlantique entre l’Europe et l’Amérique. A son bord, il joue dans l’Atlantic jazz. C’est là, au beau milieu de l’océan, qu’il fait une rencontre qui le marquera à vie, avec un autre musicien qui deviendra son ami et dont il nous raconte l’histoire dans ce livre. Cet homme, c’est Novecento, un pianiste exceptionnel, véritable génie, capable de rejouer des morceaux après les avoir entendus ou bien d’en composer de manière spontanée et improvisée. Sa musique, qui devient comme l’écho de l’Océan, émeut d’emblée toute personne qui l’écoute. Il devient la légende du « pianiste de l’océan ». Mais à 30 ans, il n’a encore jamais mis le pied à terre. La musique constitue alors pour cet homme qui ne connaît du monde que l’océan un moyen de s’exprimer et de s’évader.

Ce court texte, hybride de par sa forme, à la fois roman, conte philosophique et pièce de théâtre, est un petit bijou littéraire qui mêle avec poésie et sensibilité les thèmes de la musique, de l’océan et du génie artistique.

 

 

ROMAN

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L'Orangeraie

Larry Tremblay

Dans un pays en guerre qui n’est jamais nommé, deux frères jumeaux de neuf ans, Ahmed et Aziz, découvrent leurs grands-parents morts dans leur maison détruite par un obus. Quelques jours plus tard, des militaires viennent voir le père des deux garçons, propriétaire d’une orangeraie, et lui demandent de sacrifier l’un de ses fils  pour commettre un attentat suicide contre le camp adverse. Quel enfant choisir pour porter la ceinture d’explosifs qui lui coûtera la vie ?

Ici ce n’est pas la réalité de la guerre des combats et des soldats qui nous est dépeinte, mais celle de son impact sur la vie des gens, des familles, et en particulier des enfants. Dans une langue sobre mais percutante, l’écrivain québécois Larry Tremblay montre la douleur des parents, l’impuissance des femmes et des mères, la disparition des frontières entre le monde des adultes et celui des enfants qui grandissent dans cet environnement empreint d’une violence permanente, l’embrigadement des esprits, et comment la valeur de l’honneur et le fanatisme religieux sont plus forts que tout.

Ce court roman aux accents de conte oriental et de tragédie antique est un roman coup de poing, qui donne d’autant plus froid dans le dos quand on sait que cette histoire pourrait réellement exister.

ROMAN

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Les Jours clairs

Zsuzsa Bank

Les jours clairs ce sont les jours heureux de l’enfance. Dans une ville rurale du Sud de l’Allemagne dans les années 60, trois enfants, Seri, Aja et Karl, profitent de ce temps de l’insouciance. Ils se retrouvent principalement dans la maison d’Aja et de sa mère Evi, petite baraque brinquebalante, faite de bric et de broc, située sur le chemin qui mène à la forêt et au lac tout proches, mais dont le  grand jardin entouré de champs constitue un formidable terrain de jeux !

On découvre les premières années de vie de ces personnages, de leur toute petite enfance jusqu’à leur ancrage dans l’âge adulte. Zsuzsa Bank nous décrit le monde selon le regard et la perception qu’en ont les enfants eux-mêmes. C’est ce qui fait tout le charme de ce livre, dont l’histoire semble intemporelle. Nous plongeons avec délice dans un univers qui paraît hors du temps, un monde enchanté rempli des petites joies de l’âge tendre. Pourtant la réalité n’est pas rose, chaque famille comporte son histoire de douleurs et de difficultés. Mais malgré les aléas de la vie, les mères de ces personnages font tout pour insuffler de la magie dans le quotidien.

Cette écriture lumineuse et poétique venue d’Allemagne est une découverte réjouissante de ce début d’année ! C’est un très beau roman sur l’enfance et les liens d’amitié très forts qu’on peut lier à cet âge ainsi que sur le passage à l’âge adulte.

vargasROMAN POLICIER

 

Temps glaciaires

Fred Vargas

Lire un roman de Fred Vargas reste un moment privilégié et tellement attendu : en effet elle est un de ces rares auteurs qui après 14 romans écrits arrive toujours à nous surprendre et nous séduire. On est tellement heureux de  retrouver sa grande famille : Adamsberg, Danglard, Violette Retancourt, Veyrenc et les autres… Toujours les mêmes et si différents à chaque fois.

Encore une fois, l’intrigue est savamment construite : anodine au premier abord, très rapidement l’histoire se complexifie et nous entraine a travers le temps et l’espace. D’abord en Islande à cause d’une lettre mystérieuse qu’une vieille dame n’a pas eu le temps de poster, et très rapidement le personnage de Robespierre est convoqué par le biais d’une étrange société secrète. Magistralement orchestré et interprété, le roman prends même le temps de nous entrainer a la rencontre d’un certain  Marc qui gagne à être connu !

Vous en dire plus serait déplacé, lisez l e, régalez-vous !

bonnefoyLe Voyage d'Octavio

Miguel Bonnefoy

 

Ce court roman est une véritable découverte de la rentrée littéraire de janvier ! L'histoire débute en 1908 dans le port de la Guaira au Venezuela avec une terrible épidémie de peste prête à emporter dans son sillage mortifère tout un pan de la population. Dans ce pays croyant, on sort en procession le Nazaréen de Saint-Paul quand un miracle - aussi extraordinaire que romanesque - permet d'endiguer l'épidémie...

Plus tard, le lecteur fait la connaissance de Don Octavio, un pauvre paysan analphabète à la sensibilité touchante. Ce dernier, dans une suite de folles aventures va apprendre à lire avec la bien nommée Venezuela, se lancer malgré lui dans une sombre affaire de cambriolages, faire le tour de son pays...

 

Impossible d'en dire plus, sous peine de perdre le bonheur de la lecture ! On se fait rapidement emporter par ce Venezuela coloré et enchanteur. Le jeune auteur ne cache pas sa nette influence de la littérature Sud américaine ; il navigue avec talent tout au long du roman entre la réalité et la magie du quotidien, l'irrationnel qui imprègne tout - éléments qui forment la clé de voûte de l'écriture du réalisme magique utilisé notamment dans sa forme la plus pure par Gabriel Garcia Márquez dans Cent ans de solitude. Beaucoup de poésie, de simplicité se dégagent de l'écriture, de l'univers romanesque, des lieux et des personnages.

L'une des révélations littéraires de ce début d'année à lire sans attendre !

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Sukkwan Island

Hugo Bienvenu

 

 

Hugo Bienvenu signe l'adaptation en BD de l'excellent roman éponyme de David Vann. C'est l'histoire d'un père de famille, divorcé, en perte de repères, qui décide d'emmener son fils loin de tout, loin du monde, pour, pense-t-il alors, se rapprocher de lui et de la nature environnante. Ils arrivent à Sukkwan Island en avion - seul moyen d'accès pour cette île isolée. Si la nature, omniprésente dans le récit, véritable personnage du livre, est d'abord saisissante de beauté, elle s'avère être en définitive austère, hostille et alliénante.

 

La relation père/fils qui fonde le coeur du récit est faite de non-dits, de tensions permanentes et de ressentiments. Père et fils ne se connaissent pas, ou peu, chacun s'observe, se jauge et se juge dans ce face à face entre virilité et tendresse où tout peut basculer d'un instant à l'autre. Impossible d'en dévoiler davantage sous peine de détruire le suspens du récit et le choc de la lecture de Sukkwan Island !

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Un huis clos sombre et dérangeant ! Relisez le roman et découvrez la BD !

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ROMAN

olivierrolinLe météorologue

 

Olivier Rolin

 

Olivier Rolin retrace le destin tragique d’Alexeï  Féodossiévitch, météorologue dans les années 20 et 30 en URSS, en plein régime totalitaire soviétique.  En 1930, il diffuse le premier bulletin météo dont les prévisions servaient surtout à la construction du socialisme. Alors qu’il avait foi dans ce nouveau parti, il est arrêté en 1934, accusé à tort d’être contre-révolutionnaire. Après avoir subi l’implacable torture psychologique du « procès stalinien », il est déporté jusqu’au goulag des îles Solvki. Durant toutes ces années de camp, le scientifique écrit régulièrement à sa femme. Dans ses lettres, il glisse des dessins, des herbiers et des devinettes (reproduits en fac-similés à la fin de l’ouvrage) à destination de sa fille Eléonora, âgée de quatre ans. Mais en 1937, lorsque commence la « Grande Terreur » Alexeï fait parti des 116 détenus qui seront fusillés en plein cœur de la forêt à côté du camp. Sa famille n’apprendra l’annonce de sa mort que 22 ans plus tard…

 

Le Météorologue constitue un magnifique hommage aux milliers de victimes du régime totalitaire soviétique. C’est un grand roman, effrayant et glaçant, sur la Russie et son histoire. Olivier Rolin décrit avec précision toute la terreur du Stalinisme. Erudit et très documenté, ce roman est le fruit d’un vrai travail d’historien de la part de l’auteur qui a mené lui-même l’enquête pour reconstituer l’histoire d’Alexeï.